Un ancien médecin ORL de l’hôpital de Vannes a été mis en examen pour agressions sexuelles en août 2023, avec interdiction d’exercer sa spécialité. Cela ne l’a pas empêché de se reconvertir dans la médecine du travail, dans un autre département. Des similitudes troublantes avec l'affaire Le Scouarnec, à 20 ans d'écart.
"Ce matin, en apprenant cette nouvelle, nous sommes tous stupéfaits" explique Christelle Dumoulin, la directrice générale de l'organisme "Prévention Santé travail Vendée Littoral" dont le siège est installé aux Sables d'Olonne, en Vendée. Depuis le 21 octobre 2024, elle emploie Eric M, ancien médecin ORL à l'hôpital de Vannes.
C'est un médecin à l'échange facile. Il est très démonstratif et bon communicant.
Christelle DumoulinDirectrice générale "Prévention, Santé, Travail" et employeur du médecin
Ce praticien, présumé innocent, a été mis en examen en août 2023 pour agressions sexuelles après le dépôt de plaintes de six femmes pour des faits qui auraient été commis sur la période 2014 à 2023. "C'est un homme avec un bon contact, qui est très volubile, très démonstratif" ajoute-t-elle.
Le médecin a été recruté par cet organisme pour devenir médecin du travail. Une formation qui dure quatre ans, dont les deux premières années avec des cours à la faculté de médecine d'Angers. Une formation qui prévoit aussi des visites en entreprises et aussi des consultations dans le secret d'un cabinet médical.
Le casier judiciaire, qu'il m'a donné pour être médecin du travail, était vierge quand il nous l'a donné pour son recrutement.
Christelle DumoulinDirectrice générale "Prévention, Santé, Travail" et employeur du médecin
La directrice confirme : "J'ai vérifié ce matin et le docteur Eric M. m'a bien donné un casier judiciaire vierge. J'ai aussi prévenu la direction régionale du travail avant le recrutement de ce médecin et je n'ai été informée de rien." Mais elle reconnaît ne pas avoir appelé le conseil de l'ordre des médecins du Morbihan. "J'ai regardé sur internet ce qu'il avait fait avant, qu'elle était sa carrière. Et il était bien titulaire de sa carte professionnelle."
D'après elle, "la procédure prévoit que c'est le médecin lui-même qui informe le Conseil de l'Ordre de ses changements d'activité, mais je ne sais pas si cela a été fait." Même si le professionnel de santé est présumé innocent, la nouvelle s'est vite diffusée. "Il y a des salariées qui sont inquiètes. C'est clair que le retour de ce médecin va être très compliqué. Quand il va rentrer de ses congés ou peut-être même avant, nous allons avoir des explications avec lui et saisir nos avocats" affirme Christelle Dumoulin.
Les kinés veulent interdire définitivement les soignants agresseurs sexuels
Aucune mesure décidée par le Conseil de l'Ordre des médecins du Morbihan
De son côté, le Conseil de l'ordre des médecins du Morbihan, bien qu'informé de la mise en examen du praticien, ne lance aucune information ou mesure disciplinaire. Dans un communiqué de presse, l'instance précise "ne pas avoir le pouvoir de sanction ni de suspension. Seul le directeur de l'ARS a le pouvoir se suspendre en urgence un médecin." Et elle ajoute s'être "associée à la plaignante et transmis la plainte à la chambre disciplinaire régionale de Bretagne conformément à la procédure."
Une absence de réaction du Conseil de l'ordre des médecins du Morbihan incompréhensible pour les victimes présumées. Maître Iannis Alvarès, avocat à Lorient et conseil de l'une des plaignantes, confirme à nos confrères de Ouest-France : "l’absence de suspension ordinale n’est pas entendable pour ma cliente, dans la mesure où cela ne permet pas une transmission d’information aux autres Ordres et rend ainsi possible une poursuite d’activité médicale malgré les déclarations concordantes et multiples des victimes" précise-t-il.
Le conseil de l'ordre des médecins du Morbihan, que nous avons tenté de joindre, n'a pas répondu à nos sollicitations pour le moment.
Des similitudes avec l'affaire "Le Scouarnec"
Une situation, qui rappelle l'affaire Le Scouarnec, jugée jusqu'à fin juin prochain devant la cour criminelle du Morbihan. L'ancien chirurgien avait été condamné en 2005 par le Tribunal de Vannes pour détention d'images pédopornographiques. Informé de cette condamnation, le Conseil de l'ordre des médecins du Finistère n'avait pas choisi, à l'époque, d'encadrer l'activité professionnelle de Joël Le Scouarnec.
Dans les deux cas, à 20 ans d'écart, les deux instances départementales n'ont pas jugé nécessaire de mettre en place des mesures conservatoires, même si le médecin reste présumé innocent. Le Conseil de l'Ordre des médecins s’est pourtant constitué partie civile au procès Le Scouarnec fin 2023. Le Conseil indique que ces faits présumés « constituent une atteinte à l’honneur et à la réputation de cet ordre qui vise notamment à protéger les médecins dans l’exercice de leur profession, ainsi que la population."
Il n'y a rein de pénal dans cette affaire, mais juste des gestes médicaux.
Maitre Olivier Couespel du MesnilAvocat de Docteur Eric M.
De son côté, Maitre Olivier Couespel du Mesnil, l'avocat de l'ancien ORL de l'hôpital de Vannes, insiste lors de notre échange téléphonique. "Il n'y a aucun geste d'agressions de la part de mon client. Il a réalisé une formation médicale longue et poussée dans plusieurs disciplines. Il a choisi ORL, mais il n'a pas oublié ce qu'il savait pour identifier une pathologie ailleurs."
L'avocat du médecin poursuit : "mon client parle de lui comme un médecin "à l'ancienne". Il ne veut pas que le patient souffre. Quand ses patientes lui parlaient de leurs douleurs, il allait voir plus loin. Il ne voulait pas que ses patientes perdent du temps pour obtenir un rendez-vous de consultations chez d'autres spécialistes."
L'avocat persiste : "il n'y a rien de pénal dans cette affaire, mais juste des gestes médicaux". Pourtant, une première plainte contre l'ORL de l'hôpital de Vannes avait été déposée par une patiente en 2020 puis classée sans suite en 2021. Les investigations des enquêteurs qui entendent toutes les patientes du médecin vont mettre au jour d'autres faits présumés et aboutir à la mise en examen.
En fin de consultation, beaucoup de femmes affirmaient qu'elles reviendraient avec leur mari la prochaine fois pour consulter avec ce médecin.
Une employéeCentre Hospitalier de Vannes
À l'hôpital de Vannes, beaucoup de membres du personnel médical et paramédical sont "sous le coup", nous raconte une employée et également déléguée syndicale. "Après la mise en examen du médecin, beaucoup de bruit ont circulé. Les gens se sont mis à parler. On a entendu que, après les consultations, certaines patientes affirmaient qu'elles ne reviendraient pas seules, mais accompagnées de leur mari. On a vu aussi que beaucoup de patientes annulaient leur second rendez-vous avec le docteur Eric M."
Le Centre Hospitalier de Vannes s'est porté partie civile
Le Centre Hospitalier de Vannes, que nous avons aussi contacté, souhaite garder le silence. Par mail, la direction de la communication fait une réponse lapidaire : "compte tenu de la procédure judiciaire en cours, le CHBA est tenu au respect du secret de l'instruction et ne peut donc pas communiquer. Mais l'établissement s'est porté partie civile."
Le Centre Hospitalier avait suspendu le médecin ORL en juin 2023.