Témoignage. Inceste : Alexandre a treize ans quand les abus commencent

Toutes les 3 minutes, selon l'Unicef, un enfant est victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle en France. Alors que de nombreuses agressions sont encore passées sous silence, Alexandre Fontenoy a décidé de prendre la parole pour que "la honte et le tabou cessent afin que l'État et les familles autour des victimes réagissent."

La Quotidienne Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, recevez tous les jours les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "La Quotidienne Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

C'était en 2008. Alexandre a alors treize ans quand les abus commencent. Son beau-père a une boutique à Courtenay dans le Loiret. Il lui propose de venir l'aider à trier des papiers administratifs en échange de son ordinateur.

"Je rêvais à l'époque d'avoir un ordinateur alors j'ai accepté." Un soir, son beau-père va dans la boutique et ne revient pas. Alexandre le rejoint pour savoir ce qu'il fait et le surprend en train de se masturber devant son écran. "Il me voit et me dit "Viens, n'ai pas peur. Tout va bien". J'étais figé et je me suis laissé faire. C’étaient des attouchements dans un premier temps."

Puis une semaine plus tard, une nouvelle agression a lieu dans la maison familiale à Chantecoq où le jeune garçon vit avec sa mère, son beau-père, son grand frère et son demi-frère. "Là, c'est allé un peu plus loi avec des fellations. Et au fur et à mesure, c'est allé de plus en plus loin au niveau des agressions.

C'était surtout les lundis. Sa boutique était fermée et celle de mon maître d'apprentissage aussi. Du coup, on se retrouvait seuls à la maison.

Alexandre Fontenoy, victime d'inceste de 13 à 15 ans

À ce moment-là, Alexandre venait d'annoncer son homosexualité à sa famille. "Je ne sais pas s’il a cru que du coup c'était possible mais en tout cas j'ai vécu ça comme un déclencheur pour lui. "

Pendant deux ans, les agressions se répètent. "C'était surtout les lundis. Sa boutique était fermée et celle de mon maître d'apprentissage aussi. Du coup, on se retrouvait seuls à la maison." 

Pendant tout ce temps, Alexandre n'en parle à personne. Il ne mange presque plus, se replie sur lui-même, se réfugie dans sa chambre pour échapper aux repas familiaux mais personne ne lui demande rien. "Je ne savais pas à qui me confier. J'avais honte. J'ai failli en parler à ma mère pendant une dispute mais je me suis retenue parce que je savais qu'elle n'était pas en capacité de me croire. Elle expliquait ma détresse par une crise d'adolescence".

Aujourd'hui âgé de 31 ans, Alexandre se souvient que celui qu'il appelle son agresseur exerçait une certaine emprise sur son grand frère et sur sa mère. "Mon grand frère a lâché son travail pour rester avec lui dans sa boutique. Il acceptait tout comme un esclave. Ma mère se plaignait tout le temps et quand il était à la maison elle ne disait plus rien. Elle était très docile." 

Les premières agressions sexuelles ont commencé quand Alexandre Fontenoy avait 13 ans © Alexandre Fontenoy-DR

Le jour où ça s'est arrêté

La seule fois où Alexandre en parle à quelqu'un, c'est à un ami sur la messagerie MSN à l'époque. Quand il décrit ce qu'il vit, il parle d'attouchements. Son ami lui dit qu'il ne s'agit pas d'attouchements mais de viols. "J'ai tout de suite coupé les ponts parce que c'était trop dur à accepter. Je me sentais coupable." 

À 15 ans, le jeune homme entame une relation amoureuse avec un garçon qui se rend compte que quelque chose ne va pas. "À force d'insister, j'ai fini par lui dire que j'étais victime de viol et qui était mon agresseur. Je n'ai pas ressenti de soulagement mais ça m'a fait beaucoup cogiter sur le sujet." 

Les agressions et les viols s'arrêtent peu de temps après. "Je me souviendrai toujours de ce jour-là. Je n'ai pas cédé. C'était un lundi. J'étais dans ma chambre. Il a commencé à me caresser les épaules en me faisant comprendre qu'il voulait quelque chose. Je lui ai dit Non ! Ne me touche pas ! Ne m'approche pas ! Ça l'a surpris."

Là, Alexandre a très peur. Son beau-père est très en colère. "Je le reverrai toujours aller prendre le calendrier des Dieux du stade exposé dans la salle de bain puis aller se masturber au milieu de la salle à manger en me regardant. C'est un des moments où je me suis dit il faut que ça cesse. Ça devient fou."

Si les agressions s'arrêtent, les pensées suicidaires et les troubles alimentaires persistent. "C'était devenu insupportable. Le silence est insupportable en fait."  Alexandre ne voit pas d'autre issue que d'aller déposer plainte. Le garçon à qui il a parlé l'accompagne à la gendarmerie. 

C'est un vendredi soir. Il est plus de 20 h. Ils se retrouvent à parler dans l'interphone de la gendarmerie fermée. "J'ai dit à la personne que je venais déposer plainte pour viol. Sa première réaction a été de me demander si c'était une blague. J'ai dit que non en lui demandant de m'ouvrir. J'ai insisté et il a fini par m'ouvrir"

20 minutes d'audition pour deux ans d'agressions sexuelles

C'est au commissariat de Montargis que son dépôt de plainte a été pris deux jours plus tard. "Mon audition n'a duré que 20 minutes. Le policier avait beaucoup d'hésitation. Il ne savait pas comment me poser les questions. Je n'étais pas à l'aise du tout. Je n'osais pas parler de toutes les agressions et le policier ne m'a pas beaucoup aidé." 

L'expertise psychologique valide ses accusations et décrit l'adolescent comme souffrant d'anorexie avec une phobie de vomir et d'une dépression et d'une névrose profonde. "Elle concluait que rien ne permettait de mettre en doute ma parole. " 

Puis suit l'expertise médico-légale." Les infirmières m'ont dit que j'étais très courageux et qu'il fallait que je tienne le coup. Mais même si l'expertise médicale a révélé une déchirure profonde ce n'était pas assez probant pour prouver qu'il y avait eu des viols."  

Alexandre vit cette expertise comme un second traumatisme. "Ils résument ce que j'ai subi en une ligne". 

Son beau-père est arrêté et placé en garde à vue un mois plus tard. Il est interrogé. La mère d'Alexandre aussi. "Il a déclaré que je sortais tous les week-ends et que je portais des tenues provocantes. Et ma mère est allée dans le même sens que lui. C'est à vomir," se souvient le jeune homme. 

J'ai pris à perpétuité et lui, il continue sa vie de gentil petit commerçant à Courtenay. Ça me tue de voir ça.

Alexandre Fontenoy, victime d'inceste

Début août 2010, moins de deux mois après le dépôt de plainte, elle est classée sans suite. "Ils ont expliqué à mon père chez qui je vivais depuis, que vu que j'étais homosexuel, il n'était pas possible de savoir s'il s'agissait d'agressions sexuelles ou de relations consenties."

Alexandre vit ce classement sans suite comme une véritable injustice. 

Il plonge dans la dépression jusqu'à l'hospitalisation."Ce sentiment d'injustice m'a bousillé. C'est insupportable. J'ai pris à perpétuité et lui, il continue sa vie de gentil petit commerçant à Courtenay. Ça me tue de voir ça. "

Après le dépôt de plainte, la mère d'Alexandre reste dans le déni. "Je l'ai revue par hasard après. Elle m'a dit : "Je sais qu'il s'est passé quelque chose mais ça, je ne peux pas". Un jour au téléphone, il lui  demande si elle le croit enfin. "Elle m'a dit je ne sais pas, peut-être, j'ai des doutes et j'ai peur pour ton petit frère." Ça a été sa dernière conversation avec elle. 

Des séquelles persistantes

15 ans après, Alexandre souffre toujours de crises d'angoisse, de troubles de comportements alimentaires et d'agoraphobie. "J'ai besoin de garder le contrôle". Il a été suivi par un psychologue et un psychiatre jusqu'à l'année dernière. "La période hivernale est la plus compliquée. C'est à cette période que les agressions ont commencée donc chaque année ça me replonge dedans." 

Alexandre vit en couple depuis 9 ans avec son compagnon. "Je ne suis pas facile à vivre. J'ai des tocs comme le lavage de mains jusqu'à avoir les mains en sang. Je ne peux pas aller au restaurant sinon je fais des crises d'angoisse. Pour les courses, il faut toujours aller dans le même magasin. " 

Alexandre Fontenoy, dans le journal régional de France 3 Centre-Val de Loire le 26 mai 2025 © France TV

Parler pour rester debout

Pour rester debout, il a commencé à raconter son histoire. "Il ne faut pas que ce soit tabou. Il faut que les victimes parlent. Le poids de la honte vous ronge. Il ne faut pas se sentir coupable de ce qui s'est passé. Je me suis posé dix fois la question. Est-ce que j'ai fait quelque chose pour provoquer ça ?"

Si Alexandre veut en parler aujourd'hui, c'est pour que les choses changent, que la société entende les victimes. " Je vois sur les réseaux sociaux que ce sont surtout les femmes qui en prennent plein la tête à ce sujet-là. Mais ce n'est pas un effet de mode, il faut juste que ça s'arrête. Comme personne autour de nous ne nous aide et réagit et bien on en parle." 

Le mois dernier, il a participé au clip de la chanteuse Suzane "Je t'accuse" qui avait lancé un appel à témoins. Depuis, il lutte contre ses angoisses pour en parler sur les plateaux de télévision et dans la presse écrite. "Depuis le clip de Suzane, j'ai quelque chose qui me dit en moi de continuer. Je ne sais pas si c'est de la rage ou de la colère mais je sais que je dois me battre.

Quinze après, Alexandre se dit que si quelqu'un à l'école ou dans la famille s'était un peu inquiété pour lui, il aurait pu parler plus tôt. "Il faut que la société comprenne que ça peut être n'importe qui. La personne qui peut paraître gentille comme ça peut être un agresseur. S'il y a le moindre doute il faut le lever. Quand un enfant ne va pas bien, ça peut être à cause de ça." 

Pendant toutes ces années, seul son père l'a cru. Les membres de sa famille persistent à ne pas "vouloir se mêler de ces histoires." "Les gens n'ont pas encore ce déclic d'aider des enfants qui traversent ça. Encore aujourd'hui, il y a un travail à faire là-dessus et qu'on en finisse avec ce tabou", martèle Alexandre."

Selon une note de l'Institut des politiques publiques (IPP), parue le 3 avril 2024, entre 2012 et 2021, 94 % des plaintes pour viol et, plus largement, 86 % des affaires de violence sexuelle, étaient classées sans suite. 

Qu’avez-vous pensé de ce témoignage ?
Cela pourrait vous intéresser :
Recevez tous les jours les principales informations de votre région
Recevez tous les jours les principales informations de votre région
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information