De nombreuses associations de colonies de vacances et d’éducation populaire ferment leurs portes en raison de difficultés financières croissantes, exacerbées par la réduction des financements publics et l’inflation. Les dirigeants alertent sur la fragilité de leurs modèles face à la pression économique et aux exigences croissantes des normes.
"C’est avec une profonde émotion que l’association Vitacolo annonce la cessation de ses activités, après 16 ans de service éducatif, en raison de difficultés financières insurmontables.
Un dernier message, un adieu, publié le 29 janvier 2025 sur les réseaux sociaux. Et ce n'est pas un cas isolé. Ces derniers mois, ces petites structures d’éducation populaire et d’accueil pour les enfants tombent les unes après les autres. Celles encore en place et équilibrées budgétairement s’inquiètent terriblement de l’avenir, dans ce contexte inflationniste.
Suppression d’aides au départ, retrait de financements pour diverses formations, matériel de mauvaise qualité, hausse des tarifs des séjours tout en ne conservant que des séjours bénéficiaires : "Tels étaient les derniers leviers disponibles pour poursuivre la consolidation de notre modèle économique. Tout cela, nous le refusons. Au regard de nos valeurs, de notre engagement, de la qualité des séjours que nous souhaitons offrir à nos enfants, nous ne voulons pas entrer dans cette nouvelle dynamique", souligne Vitacolo dans son communiqué. Et de conclure : "Ce choix se fait au nom des valeurs qui nous animent."
Des chiffres alarmants
Si 17 % des structures rencontrent des difficultés, 4 à 6 % d’entre elles n’écartent pas la possibilité de déposer le bilan dans l’année. Hexopée, une organisation professionnelle représentative dans les domaines de l’animation, du sport, et des foyers pour jeunes travailleurs, a publié le 22 janvier 2025 les résultats d’une enquête menée entre le 15 novembre et le 20 décembre 2024. Parmi les 12 000 structures adhérentes, des inquiétudes sévères sont exprimées, avec des finances sous tension.
Alors que 20 % des structures ont été contraintes de diminuer leur masse salariale, 29 % d’entre elles montrent des signes de fragilité budgétaire : elles disposent de moins de trois mois de trésorerie. À cela s’ajoute la tendance inflationniste et les baisses de financements publics depuis 2022. Conclusion : 85 % des dirigeants se déclarent inquiets pour l’avenir de leur structure.
Louis Létoré est l’un d’eux. Directeur de la Maison de Courcelles, à Courcelles-sur-Aujon en Haute-Marne, il déclare : "Toutes nos petites associations sont en train de mourir. Nos structures sont fragiles, nos marges de manœuvre sont de plus en plus restreintes. Alors que notre droit à l’erreur est extrêmement limité, nous n’avons aucune visibilité."
À la Maison de Courcelles, une liberté malmenée
Située à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Langres, et autant au sud de Chaumont, la Maison de Courcelles accueille depuis plus de 40 ans des enfant, de 4 à 16 ans, dans ses locaux en plein cœur de la campagne. Toute l’année, des animations sont proposées : des classes découvertes, des colonies de vacances, et des stages de formation à l’animation. Le projet éducatif repose sur une seule philosophie : la pédagogie de la liberté.
En effet, les animateurs n'imposent jamais les activités, ils se placent dans un rôle d’accompagnateurs des idées des enfants, plus particulièrement dans le cadre des colonies de vacances. Ces derniers sont acteurs de leur séjour, ils construisent leur journée comme ils le souhaitent, avec qui ils veulent, quand ils veulent. En dehors des périodes de vacances, de nombreuses écoles font appel à l’association pour des séjours de découverte de la nature. Ce modèle fonctionne depuis 40 ans, mais il a demandé beaucoup de temps, de travail et de réflexion pour trouver la bonne dynamique. Or, le contexte actuel freine ce qui a été mis en place.
"Si nous ne sommes pas en confiance et en solidité avec cette maison, il sera difficile de se projeter. Cette maison est notre outil de travail. Nous accueillons 60 % des écoles primaires haut-marnaises ici."
Louis Létoré, directeur de la Maison de Courcelles
En première ligne, le désengagement du Conseil départemental dans l’attribution de subventions pour le financement des classes auprès des établissements scolaires du 1ᵉʳ degré. Cela représente une enveloppe de 300 000 euros, répartis entre le CCHM (Centre Culturel Haut-Marnais), la Ligue de l’Enseignement, et la Maison de Courcelles. "Nous bénéficiions de 60 à 70 000 euros de cette enveloppe", précise Louis Létoré, "une somme qui génère un produit d’exploitation de 400 000 euros sur un budget de fonctionnement d’1,5 million d’euros. Cette subvention indirecte qu’on nous retire représente finalement presque un tiers de notre budget."
Le directeur a exposé la fragilité de sa structure auprès de Nicolas Lacroix, président du Conseil départemental, ce vendredi 21 février 2025, lors d’une visite dans son établissement. "Si nous ne sommes pas en confiance et en solidité avec cette maison, il sera difficile de se projeter. Cette maison est notre outil de travail", dit-il avant d’ajouter : "Nous accueillons 60 % des écoles primaires haut-marnaises ici."
Mais le président du Conseil départemental n’a pas de réponse positive à lui apporter. Il s’en explique : "La situation du Département est similaire à la vôtre. Nous affichons un déficit de 10 millions d’euros de recettes cette année. Notre politique de solidarité (qui comprend les associations, Ndlr) représente la plus grosse part de notre budget : 130 millions d’euros sur 266 millions". Il ajoute : "Pendant plusieurs années, nous avons soutenu de nombreux projets comme les vôtres, y compris ceux qui ne relèvent pas de notre champ de compétence. Aujourd’hui, la situation économique du pays nous impose de faire des choix, parfois impopulaires. Nous sommes dans l’obligation de resserrer certaines aides. C’est pourquoi notre engagement pour les écoles est passé de 12 à 14 millions d’euros par an à 6 millions d’euros aujourd’hui."
En réalité, le Conseil départemental n’a en charge que les collégiens ; en dessous, ce sont les intercommunalités qui financent. Nicolas Lacroix conclut : "Nous avons fait le choix aujourd’hui de nous occuper exclusivement de nos jeunes. La Maison de Courcelles devrait davantage se rapprocher des élus locaux."
Cependant, la Maison est en froid avec la Communauté de Communes Auberive, Vingeanne Montseaugonnais (CCAVM), dont elle dépend. La cause de ce litige : des travaux de rénovation et de mise aux normes réalisés dans l’établissement. La CCAVM a d’abord payé 1,7 million d’euros, et quelques surcoûts de 600 000 euros ont été pris en charge par l’association. Or, un courrier envoyé en début d’année par la collectivité demande à l’association de payer 800 000 euros supplémentaires.
Autre problème rencontré par les petits établissements des colonies de vacances : le foncier. Chaque année, de nouvelles demandes toujours plus exigeantes et plus coûteuses de mise en sécurité et/ou d’accessibilité des bâtiments arrivent. "Dans notre cas, il a fallu dix ans de négociations avant de commencer les travaux de mise aux normes", se désespère Louis Létoré.
Acteurs majeurs économiques des territoires
Alors que les associations d’éducation populaire montrent des signes de fragilité, des réflexions au niveau national ont lieu pour augmenter les salaires des animateurs et animatrices afin de rendre le métier plus attractif auprès des jeunes. Mais les conséquences pourraient être dramatiques. En effet, doubler ces salaires devrait nécessairement être répercuté sur les tarifs des prestations. À titre d’exemple, le séjour en colonie de vacances d’une semaine à la Maison de Courcelles a déjà augmenté de 490 à 550 euros.
Louis Létoré ne veut pas tout de suite entrer dans le catastrophisme : "Je veux avant tout anticiper". Pour lui, sa structure s’inscrit parfaitement dans les axes stratégiques et politiques du territoire de la Haute-Marne, tout en étant un acteur majeur de sa localité. "Nous sommes le plus grand employeur du canton, avec 34 salariés, dont 15 en insertion. Nous préparons des repas pour les cantines alentours avec des produits issus du circuit court : 60 % proviennent des 30 km autour de nous." Il souligne encore : "Nous sommes aux antipodes des grosses entités de colonies de vacances qui s’inscrivent dans une logique de tourisme. Elles ne sont pas dans l’esprit des associations locales qui développent des projets avec le tissu local. Nous luttons pour rester une association de jeunesse et d’éducation populaire. Nous nous adressons à des adhérents, pas à des clients."
Depuis plusieurs années, les autorités constatent le déclin des colonies de vacances. Certains sociologues, comme Jean-Michel Bocquet, avancent que nous vivons un changement d’ère pour ce type de structure, où chacune d’entre elles doit renouveler son modèle adapté à son territoire.