Inondations, tempêtes endommageant la digue, effondrement de falaises… Quiberville-sur-Mer illustre parfaitement les risques du réchauffement climatique pour les villes et villages du littoral français. Mais ce petit village d'à peine 600 habitants au sud de Dieppe, en Seine-Maritime, a pris une décision inédite : laisser entrer la mer.
Arrêt sur images : en 1999, Quiberville-sur-Mer est sous les eaux, victime d'inondations record atteignant deux mètres d'eau, causées par une tempête et la sortie de la rivière Saâne de son lit. Jean-François Bloc, alors maire, raconte : "Le préfet survole Quiberville en hélicoptère et me dit : "on va fermer votre camping municipal" alors qu'on venait d'investir l'équivalent de 800.000 euros en 1995. A ce moment-là, j'ai eu la chance de discuter avec les services de l'Etat et de pouvoir dire : "laissez-nous un peu de temps pour penser à un futur déplacement". Mais qui dit déplacement dit obligatoirement trouver du foncier. Il fallait transformer des terrains à usage agricole en terrains à usage touristique. Tout cela était quand même compliqué. Et puis il fallait trouver les financements."
J'ai eu une première décennie où j'étais plutôt celui qui voulait résister, j'ai demandé à construire des épis, à recharger en galets, à faire de l'enrochement sous falaise pour essayer de contenir. La deuxième décennie, j'ai subi. On a eu des inondations terrestres, mais aussi, on voyait bien que la mer nous chahutait régulièrement et que le recul du trait de côte était évident. La troisième décennie, j'ai dit, il faut qu'on anticipe. Et depuis 2012, (...) il a fallu convaincre et sensibiliser à la fois les élus successifs, mais aussi la population et ce n'est pas une affaire si simple. Donc trois mandats quasiment, de 2012 à 2024, pour prendre cette décision.
Jean-François Bloc, maire de Quiberville-sur-MerExtrait du documentaire "Laisse entrer la mer" de Claude Duty
Face à la montée inexorable des eaux, plutôt que de continuer à lutter avec du béton, la municipalité a décidé de s’adapter en optant pour une approche inédite : se lancer dans une grande recomposition de l’espace en laissant entrer la mer dans les terres, quitte à déplacer ses habitations.
Un nouveau camping a donc été construit sur les hauteurs du village. Un projet colossal pour une petite municipalité comme Quiberville-sur-Mer : près de 9 millions d’euros financés à 80 % par des subventions. En effet, le département, la région et même l’Europe ont décidé de participer financièrement au projet, car la petite ville de Normandie faisait figure de précurseur et cette démarche pouvait servir d’exemple à de nombreuses collectivités.
Et l'ancien camping alors ?
L'ancien camping, lui, est voué à la destruction. Au grand dam de ses fidèles. Le réalisateur Claude Duty a décidé de fixer ce moment charnière dans un documentaire intitulé "Laisse entrer la mer". On y retrouve Monique Lebarc, résidente, face à l'arrivée imminente des bulldozers : "J'aime mieux pas voir comment ils vont me l'écrabouiller. (...) On tourne la page. Et on va voir ce qu'on va faire après. Une autre vie."
Ce documentaire sera diffusé sur France 3 Normandie ce jeudi 29 mai à 22h45 et sur france.tv pendant un mois.
Le projet "Basse Saâne 2050"
Le déménagement du camping n'est qu'une partie d'un projet de plus grande ampleur : "Basse Saâne 2050". L'idée étant de reconnecter la rivière Saâne à la mer avec, d'abord, la construction d'un pont de 10 mètres de large et cinq mètres de haut. Puis le terrassement d'une partie du lit de la rivière Saâne sur 1,6 kilomètre. L'objectif étant de se prémunir des dégâts causés par les épisodes de submersion marine.
"On va renaturer, pour que la basse vallée puisse avoir une action optimale en matière d'environnement qui soit sécurisante pour éviter les inondations", explique Nicolas Leforestier, le président du syndicat des bassins-versants, Saâne, Vienne et Scie. La fin des travaux est prévue pour la fin de l'année 2026, la Saâne sera alors reconnectée à la mer.
48 communes normandes menacées par la montée des eaux
En Normandie, comme partout dans le monde, la mer monte, et elle va continuer à monter. Et dans les zones construites, des habitations sont menacées. Actuellement, 48 communes de la région sont classées comme zones vulnérables face à l'érosion côtière et à la submersion marine, c'est 32 communes de plus qu'en 2022. Alors que faut-il faire ? Comment s’adapter ? C'est le thème de notre débadoc "Le combat contre l'érosion" présenté par Laurent Quembre.
Dans l'émission, Stéphane Costa, professeur en géographie à l’université de Caen et co-président du GIEC normand explique : "En mettant des épis devant des espaces à protéger, on va capter du sédiment, que ce soit du sable ou du galet. Ce sédiment est le meilleur cordon protecteur contre l'assaut des houles et notamment des houles de tempête. Sauf qu'à l'échelle planétaire, le stock de sédiments est en pénurie. Une crise de plus. Capter des sédiments à un endroit, c'est les empêcher d'aller à d'autres endroits. Donc quand on le capte pour sa commune, c'est autant de sédiments qui n'iront pas sur la commune d'après. Donc en fait on rejette ses problèmes d'érosion ou de franchissement par la mer chez le voisin."
Il évoque une triple peine pour les élus, qui "décident collégialement de mettre en place des ouvrages. Il y a un coût. Souvent on investit lourdement, parfois on s'endette lourdement pour la mise en place et l'entretien.
Deuxième peine : ces ouvrages font disparaître la plage qui constitue le meilleur cordon protecteur contre l'assaut des houles. C'est le fonctionnement même des enrochements : ça fait disparaître la plage.
Troisième peine : la plage qui disparaît, c'est finalement la disparition de l'élément d'attractivité touristique de la commune."
C'est pour ça que, nous scientifiques, on a tendance à dire : évitons autant que faire se peut de mettre des ouvrages en dur sur le littoral parce que ça génère des désagréments multiples et variés, plutôt privilégier des solutions fondées sur la nature. Mais quand on est obligé de mettre en place des ouvrages, il faut que les élus disent : on met un ouvrage pour se donner du temps, du temps pour organiser le repli parce que la nature ne nous laissera pas le choix.
Stéphane Costa, co-président du GIEC normandExtrait de l'émission Débadoc "Le combat contre l'érosion"
Dans ce débadoc, aux côtés de Laurent Quembre et de Stéphane Costa, nous retrouverons :
- Régis Leymarie, délégué adjoint Normandie du Conservatoire du littoral
- Michel Marescot, maire de Villerville
- Valérie Nouvel, vice-présidente en charge de la transition et l’adaptation au changement climatique au Département de la Manche
Le débadoc "Le combat contre l'érosion" est à voir ce jeudi 29 mai à 23h35 sur France 3 Normandie et sur france.tv.