L'affaire avait défrayé la chronique au milieu des années 30. André Vitel, 17 ans est arrêté au Havre (Seine-Maritime) pour le meurtre de sa belle-sœur et de son neveu. Condamné à mort, il sera le dernier mineur guillotiné en France. Mathieu Bidaux, historien rouennais, consacre un ouvrage à cette histoire sordide.
Le 2 mai 1939, 4h50 du matin. Dans un angle de la rue qui longe la prison Bonne-Nouvelle à Rouen, tout est prêt. En quelques minutes, le bourreau installe les "bois de justice" arrivés la veille par le train.
Dans le public se trouvent des officiels, le prêtre et quelques journalistes invités pour rédiger le compte rendu de la mise à mort.
On offre au condamné un dernier rhum, une dernière cigarette, une dernière prière dans la chapelle. André Vitel porte la main à son cou avant que la guillotine ne lui tranche la tête. Il avait 17 ans et sera le dernier mineur condamné à mort en France.
Une affaire découverte par hasard
C'est Mathieu Bidaux, historien rouennais, qui décide de se replonger dans cette histoire il y a 12 ans. À l'époque, il débute des recherches sur l'homme d'État André Marie, dans le but de lui consacrer une biographie.
Avant d'être nommé plusieurs fois ministres et président du conseil d'État, le natif d'Honfleur mène, au début des années 20, une carrière d'avocat.
En 1939, il défend la famille Anne dans une affaire de double meurtre. Au cours de ses recherches, Mathieu Bidaux découvre alors l'histoire d'André Vitel. "Je me suis dit, c'est pas possible ce que je suis en train de voir, jamais un dossier historique ne m'avait autant choqué."
Ce qui le frappe d'abord, c'est la jeunesse de l'assassin. Puis, il est abasourdi par la violence des faits. "Dans les archives que je feuillette, il y a des photos de la scène de crime. On aurait dit que c'était la guerre", raconte l'historien.
Je me suis dit que ce gamin avait forcément quelque chose qui n'allait pas pour faire des choses aussi terribles. Alors j'ai creusé.
Mathieu Bidaux, historien
L'historien se plonge alors dans les archives de la French Lines au Havre. André Vitel et ses frères sont issus d'une famille de marins. Tous travaillent pour la Compagnie Générale Transatlantique du Havre.
Pas de problème d'alcool, de drogue au sein du foyer. André Vitel vit une enfance heureuse dans une famille de travailleurs sans histoire. Les meurtres du jeune homme semblent inexplicables.
Un double meurtre extrêmement violent
Le 8 juin 1938, le frère d'André Vitel, marin, embarque sur le Normandie. Le jeune André doit se rendre chez sa belle-sœur Alice, pour y déposer un étendoir à linge. Elle l'invite à déjeuner.
André accepte un verre de vin, du pain et du beurre qu'il fait semblant de consommer. Tandis qu'elle retourne dans la cuisine, il se saisit d'un fer à repasser et lui assène un coup violent sur la tête, avant de lui trancher la gorge avec un couteau de cuisine.
Par peur que les pleurs de son neveu de six mois n'attirent l'attention, André Vitel étouffe le nourrisson dans son berceau avec des coussins et dispose des chaises par-dessus.
Le jeune a le sang-froid de se laver les mains, de changer de vêtements et de chaussures. "Il a quand même les idées claires, il fait tout pour ne pas se faire attraper", explique Mathieu Bidaux. Puis, l'assassin quitte l'appartement de la rue Frédérick-Lemaître en emportant 1 300 francs.
Jugé responsable de ses actes
Au lendemain du drame, André Vitel est appréhendé par la police du Havre. Le jeune homme passe très vite aux aveux, des vêtements maculés de sang sont retrouvés chez lui.
L'affaire connaît alors un fort retentissement médiatique. Toute la presse locale et nationale s'empare de cette histoire. Les journalistes détaillent les traits de caractère du jeune homme : une attitude froide, sans empathie.
André Vitel semble peu concerné par son sort. Les deux psychiatres qui l'interrogent sont d'accord pour le juger responsable de ses actes. Selon eux, il est impossible que sa raison ait été altérée après les meurtres, car il n'était pas choqué.
Pour Mathieu Bidaux, c'est tout l'inverse "je pense qu'il avait une maladie psychiatrique difficile à détecter. Il résonne tout à fait normalement, tout ce qu'il dit à la police est logique".
La France entière suit le procès d'André Vitel. L'opinion publique est tranchante, l'adolescent de 17 ans est un monstre et sa jeunesse n'est sûrement pas une circonstance atténuante.
À la veille de la Seconde guerre mondiale, "le contexte social et politique est tendu en France, les gens n'ont pas la patience pour des histoires comme ça", explique Mathieu Bidaux.
Condamné à mort à 17 ans
Lors du procès, André Vitel est défendu par Maître Alain Crosson du Cormier. "Même si son avocat a demandé aux jurés de tenir compte de la jeunesse de l'accusé, ils ont répondu oui à toutes les questions. L'affaire a créé une vraie frayeur au sein de la population et ça a influencé les jurés", analyse Mathieu Bidaux.
Une image insoutenable a frappé mes yeux. Mon client coupé en deux. Un bout dans un coffre, l'autre dans un panier. Messieurs les jurés, nous, avocats, assistons nos clients jusqu'à la dernière heure, aussi sanglante doit-elle être. Nous leur tenons la main, tandis que la tête tombe.
Maître Alain Crosson du Cormier, avocat d'André VitelExtrait de la plaidoirie de l'avocat de la défense lors du procès en février 1939
Le sort d'André Vitel est rapidement scellé. Il est condamné à la peine de mort le 17 février 1939. Une peine qui n'est pas si courante pour l'époque.
Un mois avant l'exécution, l'avocat de Vitel demande la grâce présidentielle. Elle lui est refusée en raison de la puissance de l'opinion publique.
Le motif de ce double meurtre reste encore un mystère "difficile de dire si c'était prémédité. André Vitel a changé plusieurs fois de versions".
Mais son nom restera dans l'histoire comme celui du dernier mineur condamné à mort en France. L'historien lui consacre un ouvrage publié aux éditions des Falaises "L'Affaire Vitel : la peine de mort à 17 ans" et paru en août 2024.