Face à l'explosion des tarifs, 1 500 communes françaises ne parviennent plus à s'assurer, d'autres ont vu le prix de leurs cotisations multiplié par trois. Certaines choisissent de ne pas déclarer certains sinistres, afin de limiter les coûts.
Aléas climatiques, incivilités, incertitudes géopolitiques et inflation, violences urbaines... Les temps sont incertains et, en prévision d'éventuels coups durs, les assurances sortent les parapluies et les calculettes. "Hausse des coûts de réparation, augmentation des sinistres, multiplication des catastrophes naturelles... En 2025, les tarifs des assurances auto, habitation et même santé évoluent. Tous les assureurs sont aujourd’hui contraints de procéder à des réajustements tarifaires", se justifie cette importante mutuelle sur son site Internet.
Communes sans assurance
Si l'augmentation est sensible pour les particuliers, elle ne l'est pas moins pour les collectivités territoriales dont les primes explosent littéralement depuis quelques mois. Désormais, les assurances ne répondent plus à certains appels d’offres, dénoncent carrément les contrats qui les lient aux collectivités ou augmentent considérablement leurs franchises. Conséquence, depuis 2025, selon la Cour des comptes, 1 500 communes ne peuvent plus se permettre d'être assurées. Et beaucoup d'autres le font au détriment de leur budget de fonctionnement. Mercredi 19 février, le vice-président de l’Association des Maires de France en a appelé à l'État pour intercéder auprès des assureurs dont les augmentations, jugées souvent "très brutales", plongent les collectivités territoriales dans des situations risquées.
Assurance incontournable
Alain Castang, président des maires ruraux et lui-même maire de la petite commune de Rouffignac-et-Sigoulès près de Bergerac en a fait les frais, dans tous les sens du terme. Pour assurer une rentrée d'argent municipal, 30 000 euros par an, la commune s'est dotée d'une nouvelle aire de camping-car. Mais pour l'assurer, il a dû batailler, pas le choix. "À l'entrée, j'ai pour 55 000 euros de matériel électronique, j'ai toutes les bornes électriques, détaille-t-il. Il y a aussi les camping-cars, il peut en brûler un, on ne sait jamais". Il était impensable de laisser cet investissement de 350 000 euros sans assurance.
La mise en place n'a pas été simple : "l'assureur m'a dit, on n'assure pas les aires de camping-car. Les assureurs aujourd'hui exagèrent, ils sont tenus d'assurer, c'est leur métier", rapporte l'élu.
Je leur ai dit que j'allais les mettre au tribunal administratif, et ils se sont décidés.
Alain CastangMaire de Rouffignac-et-Sigoulès
30 % d'augmentation en un an
Le maire fini par avoir gain de cause auprès de son courtier, mais il n'est pas au bout de ses mauvaises surprises. Quand arrive la facture, il s'aperçoit que, en dehors du petit surcoût lié à l'aire de camping-cars, l'assurance globale pour l'ensemble des bâtiments communaux a bondi de 30 %, passant de 4 200 à 5 700 euros. Du jamais vu et une saignée financière pour ce village de 320 habitants.
"J'ai refusé de payer, et je leur ai dit, vous révisez vos tarifs ! Je veux bien qu'il y ait une augmentation qui suive un peu plus que l'inflation, parce que je comprends qu'il y ait une certaine solidarité avec les autres régions, les communes qui sont défavorisées, mais 30 % je trouve que c'est un peu d'abus !", s'agace Alain Castang. La commune dispose maintenant de trois mois pour trouver un accord sur le montant de la cotisation, après quoi elle risque de ne plus être assurée.
Il y en a qui ne veulent plus assurer les communes, sur la Charente-Maritime, le Pas-de-Calais, là où il y a des catastrophes. Mais en ce qui nous concerne, ils profitent du fait qu'il y ait eu ces changements climatiques pour le répercuter sur tout le monde.
Alain CastangMaire de Rouffignac-et-Sigoulès
Tout coûte plus cher
Les assurances justifient leurs augmentations par les inflations records de 5% en 2023 et 2024 qui pèsent sur les tarifs de l'énergie, des biens et des services. La réparation des bâtiments ou des véhicules coûte plus cher tant pour les matériaux que pour la main-d'œuvre. Une étude du SRA (Sécurité et Réparations Automobiles), organisme auquel adhèrent toutes les sociétés d’assurance auto, estime que le prix des pièces détachées automobile aurait grimpé de 73% ces dix dernières années, entraînant une hausse globale de 59% du tarif des réparations.
Les coûteuses dégradations urbaines suite aux émeutes de l'été 2023 justifieraient aussi en partie l'augmentation des tarifs des assureurs.
Dans le même temps, fin 2023, la prime Cat-Nat (Catastrophe Naturelle) a été réévaluée, pour répondre à l'amplification récente de ces phénomènes. La hausse décidée par l'État, et bien évidemment répercutée par les assureurs, peut aller de 6 à 20 % selon le risque assuré.
Quand les communes préfèrent oublier leur assureur
Conséquence, les communes hésitent désormais à faire appel à leur assureur. C'est le cas à Bergerac, reconnaît le maire, Jonathan Priolleaud. "On a une réflexion qui est menée à chaque sinistre, pour savoir si on le déclare ou pas. Parce que si le coût est inférieur à celui de la franchise, ça ne vaut pas le coup de déclarer le sinistre". Un système D qui était surtout le fait des particuliers soucieux d'économie jusqu'alors.
On se retrouve dans une situation où on est assurés, mais où on ne déclare pas systématiquement tous les sinistres.
Jonathan PriolleaudMaire de Bergerac
Des cotisations trois fois plus chères
Il faut dire que la ville de Bergerac a déjà été échaudée. Deux passages d'épisodes exceptionnellement violents de grêle et un incendie lui ont valu d'être radiée par son assureur. Et le nouvel appel d'offres a abouti à un montant de cotisation multiplié par trois entre 2020 et 2025 : l'addition est passée de 137 000 à 451 000 euros en cinq ans. D'où l'appel à l'action des collectivités, lancé par le maire de Bergerac. "Il faut qu'on le fasse avec les assurances, qu'on prenne des décisions claires pour faire en sorte que les prix et les franchises n'augmentent pas autant, et que les collectivités puissent baisser leurs coûts de fonctionnement au niveau des assurances", plaide Jonathan Priolleaud.
"On est en plein libéralisme, les assurances sont des sociétés privées, elles font ce qu'elles veulent !" , fulmine de son côté le maire de Rouffignac-et-Sigoulès. Les cotisations augmentent et le phénomène prend de l'ampleur, le risque étant que toujours plus de communes soient confrontées au choix entre être assurées... et assurer leur fonctionnement normal.
Le sujet en images France 3 Périgords - Vanessa Fize & Florian Rouliès