"Les jeunes ne savent pas forcément qui il était" : 50 ans après sa mort, le dictateur Franco continue de hanter le Pays basque

Cinquante ans après la mort du dictateur, la mémoire du franquisme reste loin d’être apaisée, en Espagne comme au Pays basque. Le journaliste Michel Garicoïx, témoin de 1975 depuis Paris, et Gorka Robles, dont la famille a fui le régime, éclairent les traces toujours visibles de la dictature et les fragilités de la mémoire, notamment chez les jeunes générations.

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Le 20 novembre 1975, Francisco Franco meurt à 82 ans, mettant fin à près de 40 années de dictature en Espagne. Chef des nationalistes insurgés pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), il avait instauré un régime autoritaire fondé sur un parti unique, la censure, l’interdiction des partis politiques et la répression systématique des opposants.

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Des milliers de personnes fuient la dictature franquiste dans les années 1930, en passant de l'Espagne à la France ©Archives

Au Pays basque, son pouvoir a laissé une empreinte profonde : le bref Gouvernement autonome instauré par le Statut d’autonomie de 1936, un exécutif basque dirigé par José Antonio Aguirre, est neutralisé puis supprimé de fait après la chute de Bilbao en juin 1937. S’ensuivent l’exil massif de familles basques, la fermeture des espaces politiques, l’interdiction de toute expression culturelle ou linguistique non castillane, et une surveillance permanente sur tout ce qui pouvait sembler "basque".

Cinquante ans après sa mort, cette histoire se transmet encore au Pays basque comme une mémoire intime. Deux témoins, Gorka Robles et Michel Garicoïx, racontent comment la dictature franquiste continue de traverser les récits familiaux.

"Ma famille a été fracturée" : l’exil basque vu par Gorka Robles

Pour la famille de Gorka Robles, tout commence à la chute de Bilbao, en 1937. Son grand-père, député basque en Espagne et fondateur du syndicat basque ELA, travaille alors à Genève pour défendre la situation des réfugiés basques. L’avancée franquiste le met face à un choix immédiat : fuir ou être arrêté. “Mon grand-père était député au Cortes, fondateur du syndicat basque… Quand il apprend la chute de Bilbao, il a été obligé de fuir, poursuivi par les franquistes”, explique Gorka.

Gorka Robles, petit-fils d'un réfugié. © France Télévisions

Le départ vers la France se fait en urgence. "Il part avec ses huit enfants, le neuvième en cours”, raconte son petit-fils. Le reste de la famille reste en Biscaye, en Espagne. "La famille a été fracturée", raconte Gorka, nostalgique.

Mon grand-père savait très bien qu’il irait en prison, au mieux

Gorka Robles

Petit-fils d'un réfugié

Au Pays basque français, l’accueil mêle méfiance et solidarité. “Les gens d’ici pensaient que c’étaient les Espagnols communistes”, sourit encore Gorka Robles, rappelant le poids de la propagande de l’époque. Mais très vite, les voisins s’organisent : “Ma famille a été accueillie par des voisins qui se sont donné la main pour accueillir les réfugiés politiques et économiques”.

Une pression franquiste ressentie jusqu’en France

Même après la guerre, la présence franquiste pèse sur tous ceux qui franchissent la frontière. “On a grandi avec cette pression franquiste”, raconte toujours Gorka Robles. Les contrôles aux postes-frontières sont vécus comme des menaces permanentes. “Personne n’était tranquille pour savoir si la garde civile allait les laisser repartir” se souvient Gorka.

Rien que montrer le nom sur la pièce d’identité, qui avait une consonance basque, créait déjà une suspicion.

Gorka Robles

Petit-fils d'un réfugié

Les artistes basques sont également visés. Gorka Robles raconte les obstacles auxquels sa tante, Estitxu, chanteuse en cette époque sombre, s’était heurtée. “Si elle faisait partie d’un concert en Espagne, le gouverneur franquiste disait que le concert n’aurait pas lieu”, se souvient-il. En effet, née à Briscous, en France, en 1941, Estitxu Robles choisit de chanter exclusivement en basque, un engagement artistique qui l’empêche de se produire en Espagne tant que dure la dictature. Décédée en 1993, elle reste aujourd’hui une figure essentielle de la chanson basque, à laquelle plusieurs documentaires rendent hommage, dont un récent portrait retraçant sa vie d’artiste et son héritage culturel.

Alors, en 1975, lorsque Franco meurt, la réaction familiale des Robles est immédiate. "Nous, on a passé une bonne journée quand il est mort”, glisse Gorka Robles, comme pour mesurer l’ampleur du soulagement.

Michel Garicoïx, jeune journaliste basque témoin du franquisme

Au moment du décès du dictateur en 1975, Michel Garicoïx, est un jeune journaliste basque du journal Le Monde, installé à Paris. Alors âgé de 25 ans, il découvre la nouvelle dans un contexte très différent, marqué par l’après-68 et le premier choc pétrolier.“En 1975, ce qui se passe en Espagne, on ne s’en préoccupe pas tellement dans les sphères parisiennes”, raconte-t-il. La France se concentre alors sur ses propres débats, la majorité abaissée à 18 ans, l’élection de Giscard d’Estaing, et regarde peu vers l’autre côté des Pyrénées.

Michel Garicoïx, journaliste basque âgé de 25 ans à la mort de Franco. © France Télévisions

Mais l’annonce de la mort du dictateur change tout. “La mort de Franco est un révélateur : l’Espagne rentre tout d’un coup dans l’agenda”, raconte le journaliste. Les Français découvrent brutalement les réalités d’un régime resté figé pendant quarante ans. “On remettait sur la table des choses insensées : pas de droit de grève, pas d’élections libres, les partis politiques interdits”.

Un "verrou" familial qui tombe en 1975

Dans la famille de Garicoïx, la frontière espagnole était, avant 1975, autant une limite géographique qu’un interdit moral.“Mon grand-père avait la même attitude”, poursuit-il. La disparition du dictateur change ce rapport. “Une fois passé ce verrou, aller voir ce qui se passe en Espagne devient naturel”. Les premières visites sont marquantes. “On découvre Bilbao, une ville alors sale”, se remémore Michel Garicoïx. Une ville industrielle encore écrasée par la dictature. “On voit un niveau de vie qui tranche avec l’Europe du Nord”, se souvient l'ancien journaliste.

Mon père ne voulait pas mettre les pieds dans l’Espagne de Franco.

Michel Garicoïx

Journaliste au moment de la mort de Franco

L'histoire se transmet encore au Pays basque. © Archives

Une mémoire basque transmise, encore vive aujourd’hui

Cinquante ans après la mort du dictateur, la mémoire du franquisme reste loin d’être apaisée, soulignent les témoins. Pour Michel Garicoïx, certaines traces demeurent visibles selon les régions : “En Espagne, on voit que la nostalgie est ce qu’elle était…” estime l’ancien journaliste du Monde, qui observe encore “des idées un peu plus conservatrices voire réactionnaires” présentes dans le débat public. Un constat que partage Gorka Robles, pour qui l’ombre du régime perdure bien au-delà des commémorations officielles.“Il y a encore 6000 symboles franquistes toujours présents en Espagne”.

Franco continue encore à avoir des fans

Gorka Robles

Petit-fils d'un réfugié

Une situation d’autant plus préoccupante, dit-il, que “les jeunes en Espagne […] ne savent pas forcément toujours qui était ce général”, preuve que “la mémoire est plus que fragile” et que tout “passe par l’éducation” pour éviter que “les fantômes” du passé ne s’installent durablement.

Mais une chose est sûre : les récits de Gorka Robles et de Michel Garicoïx se croisent et se complètent. L’un porte l’héritage direct de l’exil et de la persécution. L’autre raconte l’ombre franquiste observée depuis Paris et ressentie dans sa propre famille. Tous deux partagent un même constat : au Pays basque, la dictature franquiste n’a jamais été un simple fait historique. Elle reste une mémoire familiale, intime, encore transmise aujourd'hui. 

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