Le collectif des anciens élèves victimes de Notre-Dame de Bétharram va déposer un nouveau corpus de 17 plaintes ce mercredi 23 juillet au palais de justice de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques. Les faits dénoncés sont en majorité des agressions sexuelles et des viols commis entre 1961 et 1993. La levée de la prescription est toujours au cœur du combat des victimes.
" Samedi et dimanche dernier, j'ai vomi de la bile. Dans la nuit de dimanche à lundi, toutes les heures, je me réveille. Les souvenirs me font ça, ils me rendent malade". Didier Carrère-Laas, ancien élève de Notre-Dame de Bétharram a mis plus de 40 ans à crever cet abcès qui le rend malade et qui lui a coûté sa vie sociale et sentimentale. Victime d'agressions sexuelles, et probablement aussi de viol, de la part de plusieurs adultes quand il était enfant entre 1981 et 1983, il a décidé de porter plainte.
"J'en vomis encore"
Didier Carrère-Laas, 55 ans, vit et travaille à Orthez. Pour lui, la médiatisation de l'affaire Bétharram a été tout d'abord une épreuve. Puis ce passé, enfoui depuis si longtemps, a fini par rejaillir, avec les nausées. "Quand j'étais à Bétharram, je vomissais de la bille le dimanche avant d'y retourner. J'en vomis encore".
Au fil des mois, cet ancien élève qui a fait ses classes de 6e et 5e dans cet établissement au début des années 80, a trouvé le courage de parler à sa famille. Et la force de remplir une plainte qu'il viendra déposer ce mercredi au parquet de Pau, accompagné par son père et son frère. Tout un symbole.
Il se souvient d'avoir été accueilli dans le bureau du Père Silviet-Carricart qui dirigeait l'établissement à l'époque et par Damien Saget, dit Cheval, le surveillant général. "Ils m'ont dit que comme j'étais nouveau et à l'internat, ils allaient me protéger des élèves qui étaient durs".
À 11 ans, Didier Carrère-Laas débarque depuis Paris dans l'enfer de Bétharram. Le jeune garçon est seul, loin de sa famille, sans copain, isolé. Une proie idéale. "J'ai eu droit à une convocation. Enfin, le droit d'aller dans le bureau du directeur pour qu'il soit gentil avec moi, on va dire".
Il me faisait m'asseoir sur ses genoux. Il y a eu des attouchements. Une pénétration avec le doigt. Je ne me souviens pas de tout.
Didier Carrère-Laas,ancien élève de Notre-Dame de Bétharram et plaignant
Se souvenir est encore très douloureux et difficile en raison du traumatisme. "Un jour, le père Carricart m'a dit que si je bandais la nuit, je pouvais venir le voir. Je prendrai une douche. Je me souviens de son souffle". Il se souvient aussi très précisément d'un épisode très violent avec le surveillant Damien Saget, qui l'aurait "tabassé dans un escalier, pour rien".
Avec l'émotion, Didier Carrère-Laas a du mal à finir ses phrases, mais se dit aujourd'hui déterminé dans sa démarche, prêt à surmonter "son addiction à l'alcool", et même, entamer une nouvelle thérapie avec son psychiatre "pour en finir avec son amnésie".
217 plaintes au total
En octobre 2023, quand Alain Esquerre, ancien élève et victime de violences physiques, lance un groupe de parole sur Facebook, il était loin de penser que cette affaire deviendrait "un des plus gros dossiers de pédocriminalité scolaire de France". Loin aussi de penser qu'il "déposerait un 7ᵉ corpus de plaintes", le premier dépôt ayant été fait en janvier 2024.
C'est le dossier pédocriminel en matière scolaire qui est le plus conséquent. On va arriver à 300 plaintes, je pense.
Alain Esquerre,porte-parole du collectif des anciens élèves victimes de Bétharram
Au total, depuis janvier 2024, le porte-parole a déposé 217 plaintes pour des faits allant de 1957 à 2004. Des plaintes qui mettent en cause pas moins de quinze religieux de la congrégation des pères de Bétharram et quatre laïcs (trois surveillants et un professeur de gym). Dans cette affaire, on retrouve 19 adultes agresseurs et trois anciens élèves également, mineurs au moment des faits.
D’autres plaintes ont été recueillies directement dans les gendarmeries et par le parquet de Pau qui ne communique pas le nombre mis à jour, mais le procureur général Rodolphe Jarry évoquait 60 lettres plaintes reçues par son service en mars 2025.
"Les plaintes continuent d'arriver. Elles sont plus longues à se faire, car elles sont plus graves et concernent en majorité des agressions sexuelles et des viols", constate Alain Esquerre.
L'affaire Bétharram a permis de briser le mur du silence qui entourait, depuis sept décennies, des violences physiques et des abus sexuels commis sur de jeunes élèves par des religieux et des laïcs au sein de l'école catholique Notre-Dame de Bétharram, une institution très renommée dans le Béarn et la région. La congrégation a reconnu tous les actes commis par ses membres et les laïcs qu'elle employait, mais elle reste très discrète et en retrait concernant l'évolution de l’affaire. Contactée ce jour, elle a refusé de réagir à ces nouvelles plaintes.
Un combat contre la prescription
Les 17 nouvelles plaintes qui seront déposées demain, ont de fortes chances d'être classées sans suite, car les faits – commis entre 1961 et 1993 - sont trop anciens, donc prescrits. "Au début, je me suis dit que déposer plainte ne servira à rien, que c'était trop tard, car ma vie était faite. Je ne veux pas qu'on croie que c'est pour l'argent. Parce que ça, je n'en veux pas. Jamais ils ne pourront me le rembourser. Tout ce que j'ai parcouru : les colères blanches, les addictions que j'ai eues. Le fait que je ne puisse pas aimer quelqu'un, que je n'ai aucune confiance. Voilà. Ça, il faut faire avec. C'est la vie", raconte Didier Carrère-Laas.
Se battre pour les enfants suivants. Voilà sa motivation. "Si je dépose plainte seulement maintenant, c'est parce que ça faisait trop mal, et parce que ma mémoire est bloquée. Le psychiatre qui me suit m'a demandé ce que je pouvais dire à l'enfant que j'étais. J'ai répondu : déposer plainte".
Si je dépose plainte, c'est pour faire lever la prescription des faits de violences sexuelles et de viols sur mineur. Moi, j'ai mis plus de 40 ans avant d'en parler.
Didier Carrère-Laas,ancien élève de Notre-Dame de Bétharram et plaignant
Pourquoi continuer à déposer des plaintes pour des faits prescrits ? Alain Esquerre défend toujours ardemment l'utilité de cette démarche. "C'est un devoir mémoriel, il y a aussi un surveillant en détention, et puis il faut que les victimes soient indemnisées."
Le cheminement d'une victime, ce n'est pas forcément en adéquation avec le temps médiatique ou même le temps judiciaire. Voilà, il faut du temps pour analyser, comprendre, parler.
Alain Esquerre,porte-parole du collectif des anciens élèves victimes de Bétharram
Le lanceur d'alerte estime qu'en matière de violences sexuelles sur les mineurs, la loi devrait évoluer et rendre les faits imprescriptibles. C'est aussi le combat de Me Thierry Blanco, cet avocat palois de victimes qui a déposé une requête dans l'espoir d'obtenir l'élargissement des délais afin que d'autres plaintes soient instruites dans le dossier Bétharram.
Rien ne bouge côté politique
En février 2025, l'affaire Bétharram est devenue un scandale d'état avec la mise en cause du Premier ministre François Bayrou, l'homme politique fort du Béarn depuis plusieurs décennies. Lors d'une rencontre avec les victimes, le maire de Pau avait assuré de son soutien et de son aide. "Est-ce que les choses bougent ? Non !, répond Alain Esquerre un brin agacé. Ça dysfonctionne complètement. Est-ce que l'internat a été fermé ? Non. Le chef d'établissement suspendu ? Non. Au niveau de l'église, y a-t-il une enquête ? Non. Rien n'a bougé".
Le porte-parole du collectif avait pourtant espoir de voir bouger les lignes sur ces questions de violences sexuelles sur des enfants. "On voit bien que la classe politique est absente. Il y a eu juste le dossier Bayrou qui a animé un petit peu et qui a échauffé les esprits parce que ça sert actuellement. Mais en dehors de ça, les politiques s'en fichent complètement, sinon on aurait mis ces questions de violences sexuelles qui ont un coût pour la société, en avant".
On savait bien qu'au niveau pénal, on allait se retrouver face aux lois actuelles et face à ce déni de justice.
Alain Esquerre,porte-parole du collectif des anciens élèves victimes de Bétharram
Et le chef de l’État qui s’était jusqu’ici très peu exprimé sur les suites de l’affaire Bétharram, a un peu plus refroidi les défenseurs de l'imprescriptibilité. Sollicité lors d’un déplacement à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées, le 16 juillet, Emmanuel Macron a estimé que "le caractère imprescriptible n’est pas une solution".
De quoi contrarier le lanceur d'alerte béarnais. "Il est un peu dépassé par le dossier. Il faut trouver une solution en tout cas. Le sens de l'histoire, c'est celui-là. Rien ne bouge du côté de François Bayrou et de tous les autres politiques, car ce n'est pas une priorité", regrette Alain Esquerre.
Prise de conscience des familles
Pour ce septième de dépôt de plaintes, Alain Esquerre sera accompagné de quatre nouvelles victimes. Pour la première fois, il y aura avec lui un parent. Jean Carrère-Laas, 93 ans, le père de Didier Carrère-Laas qui fait part de son dégoût : "c'est une honte, ça me rend malade et je vais soutenir mon fils au maximum".
Le vieux monsieur a tout appris le jour de la fête des Pères en juin dernier, lui qui avait confié son plus jeune fils, brillant scolairement, à Bétharram quand il travaillait à Paris. "J’étais originaire du Béarn et c'était un établissement de renommée et sérieux", lance-t-il. C'est un devoir pour moi d'être avec mon fils. Je sentais qu'il y avait quelque chose qui le rendait malade déjà quand il était enfant et puis durant toutes ces années. Je sais maintenant. J'ai honte de l'avoir mis là-bas. On croyait faire le bien et on a fait le mal. C’était un piège pour les enfants".
Le frère aîné de Didier Carrère-Laas sera également présent. Pour les familles toutes entières, l’affaire Bétharram est une épreuve. Dans celle-ci, on peut désormais en parler librement, après 40 ans de silence.
Le père Carricart a été mis en examen en 1998 pour agressions sexuelles et viol, mais son suicide en janvier 2000 a mis un terme au volet pénal. En 2006, la congrégation religieuse de Bétharram sera condamnée au civil par le tribunal de Pau pour les actes imputés à son membre. À ce jour, le père Carricart est visé par 32 plaintes, dont 27 pour viols et agressions sexuelles.
Damien Saget, le surveillant général, est, lui, visé par 105 plaintes dont 34 pour agressions sexuelles et viols. Placé en garde à vue en février 2025, il a été remis en liberté pour prescription des faits. Le septuagénaire a reconnu les violences physiques mais nie les agressions sexuelles.