Emmanuel Cocaul est la première victime à avoir témoigné dans les médias des violences sexuelles subies durant sa scolarité au collège catholique Saint-Stanislas à Nantes. Depuis les révélations du diocèse, le 29 aout dernier, et l'appel à témoins, quarante nouvelles victimes se sont signalées. "Nous sommes en train de nous constituer en collectif pour permettre à la parole de se libérer", souligne-t-il dans un entretien à France 3 Pays de la Loire.
Ancien élève du collège et lycée Saint-Stanislas de Nantes, entre 1979 et 1984, Emmanuel Cocaul aujourd’hui âgé de 60 ans, a témoigné dès 2020 auprès de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église, des violences qu’il a subies durant sa scolarité par un aumônier catholique.
Une semaine après les révélations et l'appel à témoin lancé par le diocèse de Nantes, la parole se libère, 40 nouvelles victimes ont pris contact avec la cellule d’écoute du diocèse de Nantes, via l'adresse mail paroledevictimespaysdeloire@gmail.com.
Emmanuel Cocaul réagit pour France 3 Pays de la Loire à la multiplication des témoignages.
Quel est votre sentiment face à l'afflux de ces nouveaux témoignages dans l’affaire Saint-Stanislas ?
Je m’attendais à voir arriver beaucoup de témoignages, c’est toujours comme ça, mais c'est effrayant, un récit en appelle un autre et ça va être exponentiel. Je vois bien que ça bruisse de partout, les témoignages arrivent en cascade.
Il faut encourager les victimes à parler, à ne pas avoir honte dans l'expression de leur douleur. Comme on le dit souvent, désormais la honte doit changer de camp.
Vous avez été le premier à témoigner…
Oui, j’ai eu en quelque sorte le statut de lanceur d’alerte, car j’ai été le premier à parler dans cette affaire de Saint-Stanislas ; c’était en 2020 auprès de la CIASE. J’ai ensuite été reconnu victime et indemnisé en 2022.
Mais après ce témoignage, il y a eu une faille spatiotemporelle, rien n’a avancé, hormis une étude des archives sur le parcours de mon agresseur, l'aumônier catholique de l'établissement (aujourd’hui décédé, ndlr). Il n’y a eu aucune approche systémique pour aller plus loin que mon propre cas.
Êtes-vous entré en contact avec d’autres victimes ?
J’avais lancé un appel à témoins à la suite des tags qui avaient été faits sur les murs de Saint-Stanislas au moment du rapport Sauvé, des tags qui pointaient déjà des agresseurs nommément.
Mais ce n’est qu’en 2024 sur le forum d’une association de victimes (co-abuse.fr) que j’ai pu entrer en contact avec deux autres victimes de l'établissement.
Cela a permis de comprendre le caractère systémique de ce qui s'est passé entre 1960 et 1990. Nous avons partagé notamment nos archives personnelles pour recouper les informations.
Elles pourront, si utiles à la manifestation de la vérité, être mises à disposition de la justice dans le cadre de l'enquête ouverte suite au suicide d’un de nos condisciples, issue d’une famille très installée à Nantes, qui a mis en lumière la situation.
D’autres victimes vous ont-elles contacté depuis que l’affaire a été médiatisée ?
Oui. Aujourd’hui, nous sommes en train de nous constituer en collectif pour permettre à la parole “de se libérer” comme le dit l’expression à présent consacrée par l’Église.
Il faut que les faits rapportés puissent être instruits, documentés, et portés à la connaissance des enquêteurs pour identifier toutes les responsabilités, notamment sur une période plus contemporaine, entre 1980 et 2000, sur des faits qui pourraient ne pas être prescrits.
Car contrairement à ce qui est dit, tous les agresseurs ne sont pas morts. Il y a une autre personne, toujours vivante, qui n'a pas été encore inquiétée : un laïc, le supérieur hiérarchique du surveillant déjà mis en cause, et qui était au cœur de ce système d'agression à Saint-Stanislas.
Que pensez-vous du travail de la cellule d’écoute du diocèse ?
Tout est traité en interne avec la cellule d’écoute, sous l’autorité du diocèse, et ça me dérange. Il faut compléter ce dispositif en privilégiant le recours à des associations indépendantes, composées de professionnels de l’accompagnement psychologique, qui travaillent avec des méthodes scientifiques et qui connaissent les suites à donner aux signalements reçus. C’est ce qui permettrait réellement de mettre en confiance les victimes, sinon le couvercle risque de retomber sur la marmite.
L'association France Victimes avait par exemple été mandatée par la CIASE, et cela a bien fonctionné. À titre personnel, je n’ai jamais voulu solliciter la cellule d'écoute, par défiance vis-à-vis de l’institution religieuse, et par expérience sur ces cellules d’écoute partout en France.
J’espère surtout que l'enquête judiciaire va permettre d’avoir un travail d’investigation plus indépendant et séculier. Avec tout cela, j’ai bon espoir que les choses avancent, et qu'il y ait de nouveaux témoignages de victimes, de “survivants” comme je préfère les appeler, car “victime” c’est un terme passif. Témoigner, c’est reprendre la main et sortir de la sidération.
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