La société d'isolation Sitek Insulation, située à Wissembourg (Bas-Rhin), sera liquidée le 3 mars après une décision rendue par le tribunal de Strasbourg le 24 février. Après avoir été placée en redressement judiciaire en juillet 2023, l'entreprise n'a pas su trouver repreneur et amasser les fonds nécessaires pour pérenniser son activité, malgré l'engagement de ses salariés.
La décision tant redoutée a finalement été prononcée. L’entreprise d’isolement Sitek Insulation, située à Wissembourg (Bas-Rhin), sera liquidée le 3 mars à la suite d’un jugement rendu par le tribunal de Strasbourg le 24 février. Un prononcé violent pour la centaine de salariés que compte cette entreprise unique en Europe, qui vient mettre un point final à vingt mois de lutte acharnée.
"Aujourd’hui, on ne réfléchit même plus à l’avenir", souffle Philippe Kapps, le directeur général de la société. Il se dit résigné, tout comme ses 104 salariés, après le prononcé de cette décision de justice. "Il n’y a plus aucune possibilité et aucun retour en arrière", admet-il à regret.
Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé : les salariés de Sitek Insulation "ont lutté pendant vingt mois dans des conditions précaires". Plusieurs d’entre eux arrivaient à l’entreprise dès 18 heures pour une nuit de travail de douze heures. "Je leur tire mon chapeau, souligne Philippe Kapps. Pour eux, c’est une fin digne."
Des factures quadruplées
En Europe, Sitek Insulation faisait figure d'exception. Rien ne la prédestinait à la liquidation. Fondée en 1965 par un groupe américain, la société wissembourgeoise a construit, grâce à une machine unique au monde, des milliers de panneaux isolants et autant de protections incendie pouvant résister à de basses températures comme de très hautes, montant jusqu'à 1650 degrés Celsius.
Une entreprise reconnue pour ses prouesses technologiques, qui n'a cependant pas su résister à la flambée des prix de l'énergie due à la Guerre en Ukraine. "Les factures de gaz sont passées de deux à huit millions d'euros par an", regrette Philippe Kapps. La société a été placée en redressement judiciaire en juillet 2023.
Dans ce contexte difficile, des plans de rachat et des schémas de continuité ont été pensés par et pour la société. Ceux-ci n'ont finalement jamais abouti, faute d'engagement extérieur et de moyens financiers. En juin, un nouvel espoir envahit toutefois le directeur : "deux membres du CSE m'ont abordé afin de réfléchir à un projet de Scop (Société coopérative de production)", se souvient-il.
Une proposition qui a réuni 65 salariés prêts à devenir actionnaires de Sitek Insulation en posant sur la table le montant de leurs primes de licenciement et leurs indemnisations France Travail. Le montant réuni ne permettant pas de combler le déficit de 6 millions d'euros, le projet a vite été abandonné. "Il n’était pas question d’envoyer 65 personnes dans le mur", déclare Philippe Kapps. Côté organisations bancaires et sociétés tierces, "peu de personnes s'y sont intéressées, ou elles se sont déclarées trop tard."
Une filière menacée ?
Plus largement, Philippe Kapps s'inquiète du déclin de la filière dans laquelle sa société comptait parmi les chefs de file. "Nous avions un outil unique au monde, rappelle le directeur, à la fois propice aux constructions dans le bâtiment et dans l’industrie lourde." Avec du recul, le directeur pense que cette double spécialisation a pu freiner les potentiels repreneurs. "Rares sont les entreprises qui travaillent dans ces deux domaines à la fois et il est évidemment difficile d'investir dans un domaine que l'on ne maîtrise pas, ou peu."
Aujourd’hui, la fameuse machine a soixante ans d'expérience. Et même si elle peut être considérée comme quelque peu obsolète au regard des nouvelles technologies, "elle va considérablement manquer à nos clients, insiste le directeur. Ils vont devoir trouver des ressources et produits différents." Seules deux entreprises peuvent en partie proposer aujourd'hui les mêmes offres que Sitek Insulation : les sociétés Knauf et Rockwool. Une rareté qui fait craindre au directeur une envolée des prix pour ses anciens clients.
"Faire le deuil"
Si les salariés sont aujourd'hui "résignés", "fatigués" et "choqués" par cette ultime décision, rapporte le secrétaire du CSE Mike Crova, "il y a aussi une forme de soulagement puisqu'ils ont enfin une réponse définitive."
Pour accuser le coup, les représentants de l'entreprise ont obtenu du tribunal un sursis avant l'arrêt définitif des machines, qui aurait pu avoir lieu le 24 février. "Ces derniers jours passés ensemble, jusqu'au 3 mars, vont nous permettre de nous retrouver, de faire le deuil, d'évacuer notre frustration et d'exprimer ce que l'on a sur le cœur, confie-t-il. Cela rend la fin moins violente et moins coûteuse, surtout pour les salariés qui ont 25 ou 40 ans d'ancienneté."
Si l'avenir est encore incertain pour la centaine de salariés de l'entreprise, une chose est sûre : "notre groupe va encore vivre, on se projette dans le futur", assure Mike Crova. Autant pour répondre aux interrogations de chacun, que faire perdurer le lien et assurer les prestations sociales encore une année. Le secrétaire du CSE remercie chacun des salariés de "cette usine à part". L'équipe est encore présente sur le site de Wissembourg jusqu'au 3 mars, date à laquelle l'entreprise fermera définitivement ses portes après soixante ans d'activité.
