Depuis quelques semaines, en France, les pharmacies souffrent d'une pénurie de médicaments psychotropes. Quiétiapine, setraline, venlafaxine,ils se font de plus en plus rare dans les officines. Dans le Nord, certains patients n'hésitent pas à passer la frontière pour se procurer leur précieux traitement.
Quétiapine, sertraline, venlafaxine, sel de lithium, teralithe... Dans les pharmacies de toute la France, depuis quelques jours, ces médicaments psychotropes, utilisés par les personnes souffrant de dépression, subissent une grave pénurie. En France, environ deux millions de personnes prennent un traitement antidépresseur. La pénurie d’antidépresseurs, traitements au long cours, conduit de plus en plus les patients nordistes à se rendre jusqu’en Belgique.
En ce moment, plus de la moitié des officines disposent de moins d'un jour de stock de traitements pour les personnes bipolaires, schizophrènes ou dépressives. En tout, ce sont près de 14 médicaments psychotropes qui sont difficiles à trouver. La raison : une usine grecque qui fabrique un antipsychotique et antidépresseur est à l'arrêt depuis l'automne 2024. Cette fermeture a causé de nombreuses pertes d'approvisionnement. De nombreuses pharmacies sont à sec.
"On reçoit des appels toutes les dix minutes"
Dans une pharmacie du plein cœur de Lille, le constat est sans appel, des antidépresseurs ou régulateurs d'humeur sont introuvables. Depuis quelques semaines, les officines peinent à passer commande auprès de leurs fournisseurs. Florent Fabien, pharmacien à la grande pharmacie de Paris, ne peut "recevoir que trois boîtes maximum sinon ça se bloque sur le logiciel".
"On reçoit des appels toutes les dix minutes, témoigne-t-il. Il y a vraiment une détresse de la part des patients qui passent un temps fou à vouloir se procurer un médicament." Les apothicaires conseillent leurs patients souffrant de dépression de se rendre jusqu'en Belgique.
"J’ai un comprimé à prendre tous les jours depuis une dizaine d’années. Depuis que mon médicament a commencé à être en rupture de stock, mon médecin m’a dit de me rendre en Belgique, à Mouscron pour avoir une chance de me procurer mon traitement", explique Dominique, patiente atteinte de troubles dépressifs. Depuis février, une fois par mois, accompagnée par une amie, elle va en Belgique.
Seul problème, la pharmacie dans laquelle elle se rend accepte uniquement les prescriptions manuscrites. Désormais, elle demande deux ordonnances à son médecin : une pour les officines belges et une autre pour les françaises.
Pour l'heure, j’ai transmis ma feuille de remboursement, mais je n’ai toujours pas de nouvelles.
Dominique, patiente souffrant de troubles pyschotropes
Autre contrainte, de l'autre côté de la frontière, les prix sont souvent plus élevés. Les patients français qui se rendent dans le Plat pays peuvent se faire rembourser par la Sécurité sociale, mais ils doivent avancer leurs frais. Concernant, les délais de remboursement, "c’est le flou". "Pour l'heure, j’ai transmis ma feuille de remboursement, mais je n’ai toujours pas de nouvelles", indique Dominique, habitante de Faches-Thumesnil (Nord).
"Cette crise est insensée"
Quand un patient arrête son traitement, il risque de se retrouver très embêté. "Moi encore ça va, je n'ai pas de grosse rupture de mon traitement, mais je sais que quelques patients sont en véritable détresse. Cette crise est insensée", raconte-t-elle. Face à ce genre de pénurie, l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) conseille fréquemment aux patients de compter "sur la solidarité européenne". "Si on n’est pas frontalier avec un autre pays européen, c’est beaucoup plus compliqué", souligne la patiente souffrant d'une forte anxiété et de crises de panique depuis une dizaine d'années.
Face à cette détresse, les soignants sont parfois contraints à changer le traitement, ce qui peut être dangereux pour le patient. Pour Ali Amad, professeur de psychiatrie à la faculté de médecine de Lille et au CHU, "quand un traitement est stabilisé, vouloir changer, c'est risquer à nouveau des rechutes ou des aggravations de symptomatologie". "Cela peut provoquer des arrêts de travail, des difficultés familiales ou psychologiques, insiste l'expert. C'est tout un pan de la vie des patients qui peut s'effondrer. C'est extrêmement périlleux."
Cette nouvelle est assez difficile alors que je commence à voir les effets positifs du traitement.
Une patiente du docteur Amad, professeur en psychiatrie
Sollicité quotidiennement par ses patients, le docteur Amad tente de répondre au cas par cas. "Je vous avoue que cette nouvelle est assez difficile alors que je commence à voir les effets positifs du traitement. Que pouvez-vous faire ?", voici le genre de messages que le professionnel de santé peut recevoir dans sa boîte mail. Le médecin conseille notamment de se rendre en Belgique ou de renseigner sur internet.
En dehors de la fermeture d'une usine de production de médicaments en Grèce en 2024, les raisons de la pénurie sont diverses. Certains professionnels de santé dénoncent aussi le désintérêt des laboratoires, car ces médicaments ne seraient pas assez rentables à produire. Nos voisins seraient livrés en priorité.
"On a presque tous quelqu’un dans notre entourage qui souffre de dépression"
En France, selon une étude de la Drees de 2023, en France, quatre millions de personnes seraient sous antidépresseurs. Depuis le covid, des études montrent qu'il y a de plus en plus de personnes qui souffrent de troubles anxieux. Selon le docteur Amad, "on a presque tous quelqu’un dans notre entourage qui souffre de dépression".
Face à la pénurie d'antidépresseurs, l'Agence du médicament, a pris plusieurs mesures, comme interdire d'exporter les psychotropes produits en France ou encore prioriser le don de comprimés à l'unité.
Cette pénurie est assez paradoxale sachant que la santé mentale a été désignée comme une "Grande Cause nationale" par le ministère des Solidarités. D'après l'Assurance maladie, un Français sur quatre serait confronté à un trouble mental au cours de sa vie.
Écrit avec Sanaa Hasnaoui